mardi 9 octobre 2012

Projet d'avis du CESER des Pays de la Loire sur l'enseignement supérieur: mon intervention en session (8 octobre 2012)



Je veux, avant d’expliquer mon vote, saluer le travail réalisé par Robert, particulièrement pour la partie « Etat des Lieux ». Complet, sérieux et documenté. Il aurait du permettre un vrai travail d’analyse de la situation, des enjeux posés à l’enseignement supérieur en région et des perspectives que nous aurions pu tracer en tenant compte des approches diverses qui sont les nôtres. Malheureusement ce n’est pas le cas puisque, d’emblée, le rapport se situe dans la droite ligne de la Loi LRU (Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités) et au-delà même dans les tristes perspectives qu’elle trace. 

Ce n’est pas commettre un crime de lèse-gouvernement que de rappeler que cette loi a été très largement contestée et combattue par la grande majorité des organisations syndicales étudiantes ou lycéennes ainsi que par les syndicats enseignants. Plus largement la communauté universitaire a rejeté cette loi et indiqué combien ses effets seraient dévastateurs pour l’Université française. Les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, dans leur champ de compétences, avaient également fait part de leurs critiques. Placer le travail de la commission dans ce cadre, sans possibilité de le mettre en cause ne pouvait que conduire à un impossible débat et à une impossibilité de consensus. 

La logique qui transpire tout au long du rapport est celle du libéralisme et plus largement de l’adhésion au modèle anglo-saxon. Le prétexte de l’international nous place automatiquement dans une perspective de l’exacerbation des concurrences considérant que nous ne pouvons refuser ce modèle qui s’impose à nous. Ce n’est pas notre point de vue. La France a, de tout temps, défendu son modèle social au travers d’une université ouverte à tous et dont le projet central est l’élévation du niveau de connaissances, la recherche associée à l’enseignement et la promotion de ce qu’on avait coutume d’appeler « les humanités », littéralement « étude de l'humanité ». Ce modèle n’a rien de passéiste, il s’inscrit au contraire, dans une perspective moderne qui pense que l’intelligence, la connaissance ne sont pas une marchandise mais un bien commun de l’humanité. 

Les enjeux posés aujourd’hui sont donc à rechercher dans cette question centrale du partage des connaissances et de l’accès de tous, du droit de tous d’accéder à un haut niveau de savoirs. Or, que constatons-nous ? Depuis dix ans, le nombre de jeunes issus des classes sociales les moins favorisées est en diminution constante. Les écarts n’ont cessé de s’accroitre. C’est de cela que nous aurions du traiter en priorité avec des préconisations fortes, précises, des exigences de moyens. De tous ces jeunes issus des quartiers, des familles ouvrières qui n’imaginent même plus pouvoir se fixer cet objectif : entrer à l’Université ou dans une grande école. De tous ces jeunes qui décidant d’y tenter leur chance sont confrontés à l’échec dès la première année parce que pas préparés, pas accompagnés. De tous ces jeunes qui contraints de travailler pour payer leurs études voient le temps qu’ils y consacrent se réduire au point de les contraindre à abandonner. Ce résultat est à rechercher du côté de moyens accordés à l’enseignement supérieur, pas à la hauteur des besoins, pas à la hauteur des nécessités. Combien manque-t-il de profs dans les universités des Pays de la Loire ? Pas un mot ! Et pourtant en 2011, l’Université de Nantes, par exemple, disposait d’un plafond de 2015 emplois alors qu’elle en « consommait » 2034 en ETP dont environ 25% de contractuels… sans parler des personnels BIATOSS pour lesquels l’UN prélève sur ses fonds propres de quoi rémunérer 290 ETP. 

Le rapport ne dit pas un mot de ces difficultés mais il propose d’augmenter les moyens accordés à l’enseignement supérieur en les prélevant sur les familles et sur les étudiants. Même si la préconisation se contente de renvoyer la responsabilité aux politiques, le rapport est explicite : il propose clairement de doubler les droits d’inscription de Licence pour le niveau Master indiquant que cela représente une ressource supplémentaire de 3,3 M d’€. Il évoque aussi une modulation des droits d’inscription selon les ressources des étudiants et de leurs familles avec une augmentation citée de 100 à 1000 €…qui donnerait une ressource supplémentaire de 20 M d’€. Pour nous c’est inacceptable, c’est une rupture du contrat républicain. Un jeune entrant à l’Université se doit d’être traité comme un citoyen autonome ne dépendant ni de la situation de sa famille ni de ses choix personnels à vivre indépendamment de ses parents et de leurs revenus. 

Pour mémoire, dans les pays nordiques, les études supérieures restent gratuites pour tous les étudiants de nationalité européenne alors que les étudiants nationaux peuvent même recevoir des aides de financement extérieures durant leur formation. Autre approche financière assez cynique tentée par le rapport, faire payer très cher les étudiants étrangers au prétexte assez curieux que le haut tarif d’inscription est gage de qualité reprenant une formule « café du commerce » : « ce qui ne coute rien ne vaut rien »… « Des formations gratuites sont marquées négativement et peuvent avoir des difficultés à se positionner à l’international » ! Cela fait immanquablement penser à la stratégie de certains établissements de santé qui font venir de riches patients afin de se financer… Intellectuellement inacceptable, économiquement suicidaire !

La première partie du rapport tente d’aborder la question de l’échec, de l’exclusion mais sans aller au cœur des problématiques et se contentant de préconisations très générales « toute initiative originale… devrait être soutenue par la Région », « l’Etat et la Région doivent développer les initiatives favorisant la poursuite d’études… »… Evidemment le cadre social des étudiants n’est pas pris en compte : les questions de la vie quotidienne, de l’absence de moyens de vie décente, l’obligation de travailler, la faiblesse du niveau des bourses, l’attribution sur la base des revenus de la famille et non sur ceux de l’étudiant lui-même le maintenant en situation de dépendance infantile, les moyens de transport… Bref tout ce qui pourrait améliorer l’accès et la réussite de chacun(e)… 

Ce rapport est un rendez-vous raté avec les aspirations des jeunes ligériens parce qu’il s’est obstiné, avec une référence idéologique très identifiée, à situer l’enseignement supérieur ligérien dans le concert international, de concurrence, de courses aux résultats et de libéralisme. C’est à l’opposé de ce que nos mouvements ont toujours défendu. Affirmer « oui mais on ne peut pas faire autrement, c’est la réalité », c’est accepter de baisser les bras, c’est refuser de construire un autre modèle social. Vous avez compris que je voterai contre ce rapport mais M…. M…. l’avait déjà précisé lors de la réunion de bureau mercredi dernier, ce n’est donc pas une surprise !